A Mansourah_France 3
Le film réalisé par Dorothée-Myriam Kellou "A Mansourah, tu nous as séparés" revient sur un épisode méconnu de la guerre d'Algérie. Deux millions de personnes, sur les dix millions d'habitants que comptait le pays, ont été regroupées dans des camps. Malek son père était de ceux-là.
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Le LEM-Cie en verre et contre tout, situé 11 Grande Rue à Nancy (Meurthe-et-Moselle) projettera jeudi 15 mai 2025 à 20 H 00, en partenariat avec la Ligue des droits de l'Homme, le documentaire réalisé par Dorothée-Myriam Kellou "A Mansourah, tu nous as séparés".
La jeune femme revient sur un épisode méconnu de la guerre d'Algérie. Deux millions de personnes, sur les dix millions d'habitants que comptait le pays à l'époque, ont été rassemblées dans des camps. Cette stratégie contre-révolutionnaire des regroupements, appliquée dès 1955, consistait à isoler la population des combattants du FLN qui luttaient pour l'indépendance, en vidant les campagnes.
Il y avait ce fil de fer barbelé qui cernait le village avec deux portes. Une pour aller chercher de l'eau et l'autre pour sortir nos morts.
Malek Kellou, le père de la réalisatrice
Malek Kellou, le père de la réalisatrice, est originaire de Mansourah en Kabylie. Il était enfant lorsque son village a servi de camp de regroupement de 1958 à 1961, le souvenir de cette période est encore vivace : "il y avait ce fil de fer barbelé qui cernait le village avec deux portes. Une pour aller chercher de l'eau et l'autre pour sortir nos morts".
Le village de Malek Kellou a eu la malchance de se situer sur un axe routier stratégique : "les gens qui habitaient les montagnes apportaient de l'aide aux combattants du FLN et de l'Armée de libération. Mon village était situé sur un axe entre la Tunisie et Alger. Donc les armes qui arrivaient de Tunis allaient vers Alger et nos villages étaient vraiment stratégiques. L'armée française a démoli tous les villages autour, ils ont regroupé tous les habitants à Mansourah et on a vécu ensemble pendant quatre ans".
Malek Kellou réalisateur, a fait souche à Nancy où il a poursuivi sa carrière. La mémoire de l'exil a fait, au fil du temps, son travail souterrain pour ressurgir un jour, et briser le silence sous la forme d'un projet de film : "un soir de Noël, j'ai fait cadeau à Dorothée d'un scénario. Il s'appelle "Lettre à mes filles". C'est un film que je voulais faire en Algérie. Dorothée s'est accrochée à cette idée".
Voyage en Intimité
La jeune femme, journaliste d'investigation et elle-même réalisatrice, s'empare de cette mémoire occultée dont elle est héritière. Elle évite l'écueil du documentaire didactique pour privilégier le voyage intime.
Ce qui m'intéressait, c'était l'intime, le sensible. Je voulais avoir accès à ce qui les avait bouleversés, leur permettre de la dire, les faire parler, laisser parler mon père.
Dorothée-Myriam Kellou, réalisatrice
Une posture fertile qui entend capter au plus près des paroles et des lieux, les secousses telluriques d'une tectonique de la mémoire encore en action plus de soixante ans après les faits : "Mon père est devenu le fil rouge de cette enquête de mémoire, puzzle de souvenirs épars que chacun doit rassembler pour comprendre. Ce qui m'intéressait, c'était l'intime, le sensible. Je voulais avoir accès à ce qui les avait bouleversés, leur permettre de la dire, les faire parler, laisser parler mon père (...) Chacun peut se projeter dans ma quête de mémoire à travers les silences, imaginer les bouleversements de l'intime et du territoire provoqués par cette politique systématisée à l'ensemble du territoire algérien".
Interroger les silences
Comme tous les exilés, Malek Kellou entretient un rapport ambigu avec la mémoire du pays natal : "d'abord, il y a le silence. Je n'ai transmis ni la langue arabe ni la langue kabyle à mes enfants. Ce que je voulais vraiment, c'est qu'on soit intégrés dans la République française. C'est toute une mythologie que je me suis construit et j'ai mis de côté l'histoire de l'Algérie. Aujourd'hui, il y a une transmission. J'ai emmené Dorothée chez moi, je lui ai présenté mes amis, tous les anciens résistants de mon village. Elle a réalisé ce film et reconstitué la mémoire avec les pièces qui manquaient dans le puzzle".
La projection du film de Dorothée-Myriam Kellou aura lieu dans le cadre du festival de La Veilleuse. Cette nouvelle édition, consacrée à l'altérité, aborde, entre-autres problématiques, l'histoire de la colonisation et ses conséquences toujours visibles dans le monde contemporain. Le festival se déroule du 13 mai au 5 juin 2025.
